« On ne peut plus faire face… »

par | Fév 20, 2022 | Témoignages

« Je me permets de vous livrer un rapide récit d’une garde particulièrement éprouvante, durant laquelle j’ai rencontré d’innombrables situations qui poussent à la démission….

Il y a trois ans, j’écrivais un premier mail à Ruffin pour alerter sur la situation des urgences. Je sortais de garde, épuisé, j’avais eu jusqu’à 22 patients simultanément à gérer.

Je sors de garde ce matin. Cette fois, je suis monté à 27 patients simultanément sous ma responsabilité. De 18h à 6h du matin, mes trois collègues et moi avons accueilli 105 patients, à rajouter à la centaine déjà présente aux urgences lors de notre prise de poste. Sur les 24h, 250 passages aux urgences du CHU.

J’ai entre autres du gérer un blessé par balle, une femme de 30 ans droguée qui s’est fait agresser, le placement de son fils de 4 ans, l’agression de mes collègues par un jeune patient qui a essayé de voler du matériel, une luxation de coude, d’épaule, une dizaine de nonagénaires qui étaient tombés, je ne sais plus combien de fractures de hanche, une dizaine de patients bourrés…au total, une cinquantaine de patients, peut-être plus, je ne sais pas.

Un aide-soignant est parti en pause les larmes aux yeux, jugeant que ce que l’on faisait n’avait plus aucun sens. Une infirmière, dans le service depuis 6 ans, qui était de chaque manif en 2019, m’a dit se mettre en arrêt dès lundi et ne plus jamais revenir ni dans le service, ni dans l’hôpital.

J’ai appelé le directeur de garde pour alerter sur la situation aux urgences, sur le risque de décès en file d’attente, comme ce fut le cas il y a 2 semaines. J’estimais que nous n’étions plus en mesure d’assurer la sécurité des 30 patients qui étaient toujours en file d’attente à 4h du matin. Il m’a écouté et m’a expliqué que ce n’était pas un problème d’effectifs soignants, puisque nous étions en nombre cette nuit, sous-entendu personne d’absents à son poste. Il m’a souhaité bon courage. Je suis retourné voir les patients, en comptant les heures jusqu’à la fin de la garde.

Je ne pensais pas cela possible : c’est pire qu’en 2019. Où en serons-nous dans 3 ans ? Dans 5 ans ? Des services qui ferment, des morts sur des brancards, il va y en avoir d’autres. On ne peut plus faire face… »

Florian

Récit d’un médecin urgentiste sortant de garde en ce 20 février 2022

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